Cresus accueille Les Riches Douaniers ! Soit, un marchand de montres de luxe reçoit des douaniers qui « peignent » avec des ordinateurs … Difficile de faire mieux dans l'ironie et le bon jeu de mot. Pourtant loin d'être une blague, l'exposition ETERNITY présente un ensemble de Vanités passé à la moulinette contemporaine : les sabliers, symboles du temps qui s'écoule, sont ici des montres, le regard bien vivant des portraits se substitue à l’œil rond des crânes vides et Philippe de Champaigne côtoie Cartier. L'éternité est longue ; mieux vaut une Cartier pour la soudoyer !

Les Vanités sont un genre artistique qui illustre de façon allégorique le thème philosophique de la futilité et de l'impermanence du genre humain. Ces « memento mori » - souviens-toi que tu vas mourir - rappellent aux hommes le caractère éphémère de leur vie, de leurs biens, de leurs plaisirs et de leurs beautés.
Ce thème, traité depuis l'Antiquité, se codifie dès le XVIè siècle et développe alors un répertoire de symboles liés à la précarité et à l'inconstance humaine : crânes, lampes, livres, sabliers, bougies vacillantes et fleurs fanées en sont les plus fréquents.
Ces motifs fortement liés à la morale chrétienne sont peu à peu prétextes à la représentation et à la mise en scène d'objets divers qui aboutiront au XVIIè siècle à la naissance de la nature morte en tant que genre à part entière. Oubliée ou plutôt ignorée aux XVIIIè et XIXè siècles, il faut attendre Cézanne, Braque ou Picasso pour que la Vanité trouve une place dans la modernité. C'est désormais un thème récurrent pour nos artistes contemporains qui, passant outre le moralisme du sujet, y voient un écho parfait aux troubles de notre époque.

Les Vanités des Riches Douaniers puisent au plus profond des clichés de ce répertoire pour en extraire et en réactualiser les motifs. Entièrement réalisé (peint !) à l'ordinateur, leur travail se rapproche plus d'une peinture maniériste que des fades images 3D auxquelles nous habitue couramment ce « médium ». Ces (im)postures visuelles telles qu'ils les nomment eux-mêmes posent aux spectateurs le problème de la technique (« mais qu'est-ce que c'est ? ») et du regard : les courbes baroques et entêtantes qui constituent chaque motif semblent prendre vie d'elles-mêmes et venir perturber la vision globale du tableau. Entre post-impressionnisme, néo-maniérisme, arnaque visuelle et terrorisme informatique, ces œuvres donnent plutôt le sourire. Au lieu de nous rabaisser à notre triste sort d'intérimaire du genre humain, ces Vanités haussent notre vision d'un ton. Les fleurs, habituellement se fanant dans ce genre d'exercice, se rapprochent ici plus de Warhol que de l'Ecclésiaste, et les montres ne sont plus là pour nous indiquer le temps qui s'enfuit implacablement, mais se transforment en de majestueux soleils.

« Souviens-toi que tu vas mourir » donc, mais qu'il te reste beaucoup à voir … et encore un peu de temps pour en profiter.

Une exposition où la pensée s'échappe de l'esprit duchampien et des tentatives picturales pour se raccorder aux réalités du XXIème siècle. Une exposition très discrète dans un espace de vente de luxe, qui pourtant participe à l'écriture d'une histoire nouvelle de l'art. Sonnez, entrez et vous serez accueilli par une hôtesse.

Attention, les prix sont encore "prix direct aux artistes" (c'est-à-dire 50% moins cher).